L’ICE : les dessous technologiques de la politique anti-immigration de Donald Trump

L’ICE : les dessous technologiques de la politique anti-immigration de Donald Trump

Johannes Späth
Wissenschaftlicher Mitarbeiter

France24.com
29 Juin 2025
Entretien avec Johannes Späth

Mobile Fortify, ImmigrationOS, Palantir : autant de noms qui représentent la tuyauterie technologique de l’opération “d’expulsion massive” menée par l’ICE sur ordre de Donald Trump. Et ce n’est que l’un des aspects d’une administration qui mise de plus en plus sur la tech pour sa politique et de magnat de la Silicon Valley qui en profitent.

C’est un nouveau gadget tech dont les agents de l’ICE, l’agence américaine chargée de contrôler l’immigration, disposent pour mener à bien leurs opérations coup de poing contre les immigrés en situation irrégulière aux États-Unis. Mobile Fortify est une application de reconnaissance faciale qui doit permettre d’effectuer des vérifications d’identité en temps réel, a révélé jeudi 26 juin le site 404 Media qui a pu avoir accès à des emails internes à ICE détaillant le dispositif.

Mobile Fortify promet de transformer le smartphone des agents d’ICE en arme d’identification massive. Au lieu d’avoir à relever les empreintes digitales puis de les comparer à des fichiers, une photo prise avec le téléphone devrait suffire, d’après la description faite par ICE de ce nouveau système, dont on ne sait pas s’il est déjà déployé ou encore en phase de test.

Reconnaissance faciale et Big Data

Mobile Fortify sera directement relié à différentes bases de données biométriques mises en place par le Département de la Sécurité Nationale (DHS). Il devrait, notamment, permettre de comparer les photos prises par les agents au fichier du Système automatisé d’identification biométrique (IDENT) du DHS qui contient des informations sur 270 millions d’individus présents sur le sol nord-américain. Cette nouvelle application de reconnaissance faciale enverra aussi les images à la base de données des douanes qui prennent en photo toute les personnes qui entrent et sortent des États-Unis.

L’objectif est de savoir plus rapidement si un individu contrôlé réside en situation régulière ou non aux États-Unis et ainsi pouvoir effectuer et enchaîner les raids afin d’être au diapason des consignes de l’administration Trump d’arrêter autant d’immigrés en situation irrégulière que possible.

La reconnaissance faciale reste une méthode moins fiable que les empreintes digitales pour vérifier une identité, souligne le site Biometric Update. Les responsables du Département de la Sécurité nationale en ont d’ailleurs conscience : un audit publié en février 2025 mettait en garde contre les faiblesses de cette technologie.

Mais qu’importe pour ICE. Pour 404 Media, il n’est pas étonnant que cette agence déploie une telle solution alors même qu’elle intègre de plus en plus d’intelligence artificielle pour traiter les données collectées. La reconnaissance faciale dopée au traitement algorithmique des images serait censée offrir des résultats plus fiables.

Mobile Fortify n’est pas la seule innovation technologique dont ICE doit bénéficier. D’ici septembre, cette agence devrait pouvoir s’appuyer sur un tout nouveau système de traitement des données baptisé ImmigrationOS, a découvert en avril 404 Media.

Ce logiciel est censé offrir une large palette d’outil pour : vérifier en "temps réel" quels sont les immigrés qui décident de leur propre chef de quitter le territoire américain, de gérer le flux des arrestations et des expulsions, et enfin d’identifier plus rapidement les cibles prioritaires pour les agents de l’ICE.

Palantir omniprésent

Un vaste programme confié à une vieille connaissance d’ICE : Palantir, le géant du traitement de données appartenant au controversé et très droitier milliardaire Peter Thiel. L’entreprise a obtenu 30 millions de dollars de la part du gendarme de l’immigration pour mettre en place ce logiciel.

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Palantir collabore avec cette agence depuis 2011 et a souvent été présenté comme l’architecte d’une certaine techno-surveillance des immigrés aux États-Unis.

Cette entreprise est devenue de plus en plus proche des personnages clés de l’administration de Donald Trump en matière d’immigration. Corey Lewandowski, ex-chef de campagne de Donald Trump, a présenté les responsables de Palantir à Kristi Noem, la directrice du Département de la Sécurité nationale. Stephen Miller, l’un des principaux idéologue de la politique trumpienne en matière d’immigration, détient des actions de Palantir.

Mais d’autres entreprises de la Silicon Valley ont travaillé pour ICE. Déjà en 2018 durant la premier mandat de Donald Trump, l’ONG Surveillance Lab avait publié un rapport sur l’écosystème tech qui – de Palantir à Amazon en passant par des noms moins connus comme Forensic Logic – avait dopé les capacités opérationnelles d’ICE.

La collaboration des entreprises tech "est essentielle pour une agence comme ICE qui, de par son rôle dual – enquête sur les infractions aux lois sur l’immigration et capacité à interpeller et déporter des individus – a des besoins très importants en données afin de pouvoir suivre les dossiers à travers plusieurs juridictions et pour travailler avec les forces de police sur l’ensemble du territoire", explique Johannes Späth, spécialiste des États-Unis à l’Institut autrichien des Relations internationales et qui a travaillé sur l’influence politique des Big Tech.

L’ICE a, en effet, besoin de technologie de ces entreprises non seulement pour la reconnaissance faciale ou le traitement des données, mais aussi pour la géolocalisation ou l’identification des véhicules.

Trump se sert de la Tech et vice-versa

Le mode opératoire de l’ICE est devenu un cas d’école de la manière dont l’administration Trump "utilise de plus en plus ouvertement les solutions technologiques pour mener à bien son programme", reconnaît Elisabetta Ferrari, sociologue à l’université d’Aarhus (Danemark) qui travaille sur l’impact social et politique des nouvelles technologies. "Difficile d’imaginer cette agence mener à bien ‘la plus importante opération d’expulsion d’immigré’ voulue par Donald Trump sans recours à la technologie", ajoute Johannes Späth.

Pour cette experte, l’exemple d’ICE démontre à quel point "la surveillance technologique est partie intégrante de la vision que Donald Trump et ses alliés se font du rôle de l’État".

Mais ce n’est pas seulement Donald Trump qui se sert d’une Silicon Valley plus "maga-compatible" que jamais. L’inverse est vrai aussi, et ICE à des entreprises qui cherchent toujours davantage à étendre leur emprise sur l’appareil d’État.

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"Des entreprises comme Palantir, Anduril [solution technologique à des fins militaires, NDLR] et des personnalités comme Elon Musk multiplient l’entrisme que ce soit au sein de l’ICE, du Departement de la Défense, du Trésor public ou encore du DHS", énumère Johannes Späth.

Avec leurs solutions technologiques, ces Big Tech rendent les agences publiques accros. "Elles se rendent indispensables, car une fois ces administrations passées à l’ère numérique, difficile de revenir en arrière. Et en contrepartie, ces milliardaires de la tech mettent la main sur un trésor de données personnelles sur les citoyens américains", explique Johannes Späth.

C’est un vrai danger démocratique, selon les experts interrogés par France 24. "Avec toutes ces informations, il est ensuite possible à ces géants de la Tech – qui gèrent aussi les réseaux sociaux – de faire des campagnes de ciblages très précises ou alors se servir des informations pour dénigrer leurs opposants politiques", craint Johannes Späth. Sans compter que ces magnats de la Tech, à commencer par Petier Thiel et Elon Musk ne tiennent pas la démocratie en haute estime.

L’exemple d’ICE montre comment l’administration Trump et des entreprises de la Tech sont en train de dévoyer la démocratie américaine. Mais c’est un phénomène qui ne passe pas inaperçu et "l’espoir est que l’attention médiatique que suscite ces affaires entraîne une prise de conscience de l’opinion", veut croire Elisabetta Ferrari. Avant qu’il ne soit trop tard.